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L'Art de Vitraux

Au commencement était le Verre...

Un des aspects qui différencie le gothique du roman est l'ouverture des murs pour y placer des vitraux et laisser entrer la lumière. Les murs romans sont épais et massifs ; ils soutiennent l'édifice mais l'assombrissent aussi. Avec le gothique, les poussées des murs se trouvent équilibrées par les voûtes d'ogive et les arcs-boutants. Ils prennent le poids et le reportent ailleurs : c'est le génie du gothique. Ainsi, le mur est libéré de sa fonction de soutien d'édifice : il s'ouvre à la lumière du monde.

Les Maîtres d'Œuvre peuvent enfin donner de la couleur vivante à la cathédrale. On emplit les murs de vitraux et ils deviennent des murs de lumière. Le Soleil, par son déplacement dans les cieux, allume et éteins ces murs. La force de ses rayons et sa position procureront le chatoiement de couleurs : la lumière était considérée à l'époque comme le complément indispensable à la gloire de Dieu.

La cathédrale subit une transmutation alchimique du lever du Soleil à son coucher : elle devient Or, lumière pure.


un vitrail

Que racontent les vitraux ? Comme le reste de la cathédrale, ils narrent la vie des saints, des récits bibliques. Un vitrail coûte cher et l'on fait appel à des donateurs. Les uns, membres d'une congrégation de métiers choisissent de faire représenter la vie de leur saint patron ou encore leur propre travail : on peut apprendre des vitraux les outils et techniques utilisés par différents métiers de l'époque. Les autres, nobles ou religieux se font représenter en personne en y ajoutant leur nom et qualité.

Pour faire un vitrail, il faut assembler des pièces de verre et les y maintenir avec de la résille de plomb. On employait pour cela des feuilles de verre : on mélangeait les pigments à la pâtes de verre, puis on soufflait des boules de verre colorées que l'on ouvrait pour y former des feuilles. Celles-ci étaient ensuite découpées et assemblées. De par la technique, l'épaisseur de la feuille de verre n'était pas égale partout : cela évitait des assemblages monochromes et conservait le "feu" à l'intérieur du verre : le vitrail est alchimique et sa particularité est d'être toujours aussi lumineux quel que soit l'intensité du Soleil. Pour colorer le verre, le Maître verrier trempait sa boule de verre chaude dans un creuset contenant son pigment. Celui-ci pénétrait le verre par stries entrecroisées créant des milliers de miroirs à l'intérieur du verre. L'Art consistait donc dans la "trempe" puis dans le réglage du rayonnement des couleurs.

La couleur des vitraux est importante et leur place n'est pas due, on s'en doute, au hasard dans l'édifice : certaines couleurs dominent à certaines places.

La symbolique des couleurs est elle aussi alchimique.

Au nord, partie de la cathédrale que le soleil ne pénètre jamais directement, nous avons l'œuvre au noir. C'est là que l'on trouve la Materia Prima, c'est le début du chemin symbolique que devra parcourir l'Adepte. Il représente le néant primordial, le chaos, l'océan des origines. Nous sommes en un lieu sombre, qui dissimule en son sein le secret des origines. Il faut y descendre pour y puiser la Sapience.

VITRIOL : Visita Interiorem Terrae rectificando Invenies Operae Lapidem. : Descends dans les entrailles de la Terre, en distillant, tu trouveras la pierre de l'œuvre.

Ou encore : Visita Interiorem Terrae rectificando Invenies Occultum Lapidem. : Explore l'intérieur de la Terre. En rectifiant, tu découvriras la pierre cachée.

Deux traductions, deux conceptions très proches. La première exprime le processus de transformation, le retour de l'être au noyau le plus intime de la personne humaine … Ce qui revient à dire : Descends au plus profond de toi-même et tu trouves le noyau insécable, sur lequel tu pourras bâtir une autre personnalité, un homme nouveau (Dictionnaire des Symboles ) . Le second exprime la synthèse des opérations alchimiques, que ce soit dans les métaux ou dans l'être humain. Il s'agit là de se reconstruire soi-même, de sublimer son être. La matière, en suivant le même processus, est le témoin de la progression de l'Adepte. Il découvre et réalise la présence immanente et transformante de Dieu en lui. Il faut retrouver l'état originel pour comprendre, remonter à la matrice primordiale dans laquelle se trouve l'œuf au milieu des eaux. Cela ressemble fort au processus de la naissance : l'enfant se développe dans les ténèbres, au sein de la matrice maternelle, et entouré de liquide. Puis il sort pour naître à la lumière. On retrouve ceci dans les mythes les plus vieux de l'humanité.

Ainsi, dans la mythologie égyptienne : Au commencement était l'Océan primordial du Chaos. Le silence et l'obscurité régnaient en seul maître. Seul était présent l'Esprit créateur. Un monticule de terre émergeât peu à peu des eaux du chaos. Il fut la première terre (Prima Materia) Sous l'apparence d'un Phénix au plumage igné, l'Esprit du Créateur put enfin se poser sur la colline primordiale. Il poussa un cri qui rompit le silence éternel. Une variation dit qu'une oie avait déposé un œuf sur le tertre et l'avait couvé jusqu'à ce qu'il éclose en un brillant Phénix. Une autre légende nous dit qu'un lotus primordial émergeât des flots, un lotus bleu qui s'était lentement ouvert pour laisser apparaître Ré Atoum, l'enfant dieu, assis en tailleur sur le cœur doré du lotus. La lumière qui émanait de son cœur dispersa les ténèbres.

L'Adepte parcourt les étapes de la vie en transmutant la matière vers son état le plus pur ( le plomb, métal vil, en or, métal noble ). Ce processus est long et parsemé de pièges qu'il devra déjouer s'il veut atteindre la lumière. Sur le chemin de l'Œuvre, il devra se méfier de la rapidité ou de la connaissance acquise trop vite : pas encore digérée, elle le rendra malade et fera échec à ses progrès ; il devra aussi se méfier des illusions qui lui feront croire à sa réussite : chaque jour il devra se remettre en cause, ne rien tenir comme définitivement acquis afin d'être toujours vigilant et de pouvoir attraper l'Œuf philosophal quand il sera devant lui.

On remarquera aussi que c'est dans l'endroit le plus sombre que l'on trouvait autrefois les baptistères. Faut-il vraiment en expliquer la raison ?


Au sud, le jaune domine : c'est le soleil de midi, celui de l'Œuvre au blanc. C'est l'œuvre à accomplir. La matière enfin trouvée, il faut maintenant commencer le travail de transmutation. A midi, la rose explose et tournoie d'un feu extraordinaire, le "Feu de Roue" des alchimistes ( que l'on retrouve aussi sur la façade occidentale : Ezechiel méditant devant deux roues entrelacées ou bien l'Adepte méditant sur le feu de roue ? ). Cette étape est importante : l'Adepte peut enfin travailler au grand jour, la matière a suffisamment mûri.

A l'occident, la grande rosace rouge symbolise l'Œuvre au rouge. Dans un chatoiement de jaune et d'orange, c'est l'étape décisive : la Pierre doit acquérir son efficacité. C'est la dernière étape du pèlerinage, la plus délicate où il faut se méfier des faux prophètes. La Rosace regarde l'Or Riant ou Orient, Or pur où se trouve le maître autel, lieu de la transmutation à la fois physique et spirituelle.

Le Signe de Croix ( crux ou encore creuset ) est tracé : Septentrion, Midi, Occident et Orient.

Verrière sud


Les vitraux sont les témoins, du vert au noir, du noir au blanc, du blanc au bleu, du bleu au pourpre, et du pourpre à l'or, de la transmutation de la matière par le feu du sol et le feu céleste.

Louis Charpentier